Atypical. The Good Doctor. Extraordinary Attorney Woo. Ces titres de séries TV récentes vous disent sûrement quelque chose. Parce qu’elles rencontrent une réelle popularité en France et dans le monde.
D’ailleurs, leurs personnages principaux ont une chose en commun : ils sont autistes. Et la série met en scène leur TSA dans la vie quotidienne.
Mais comment sont représentées les personnes autistes dans ces fictions ? Dans ce premier volet, nous allons ensemble voir si les médias aident à mieux comprendre l’autisme.
Les représentations des Troubles du Spectre Autistique dans les médias
Les représentations sociales sont une forme de connaissance permettant la construction sociale d’une réalité. Elles nous permettent d’interpréter notre environnement et les individus, tout en orientant nos comportements et nos communications.
Ces représentations sociales s’appuient sur des croyances, des préjugés mais aussi des expériences. Or les médias ont un certain impact sur ces représentations, véhiculant parfois des stéréotypes qui peuvent s’ancrer dans les consciences.
En 2009, Jones et Artwood relevaient dans la presse écrite australienne que les troubles de l’autisme sont présentés de façon négative. En effet, la personne avec TSA est considérée de manière essentiellement négative, comme un poids pour sa famille, le système éducatif et la société. Par exemple, elle peut être perçue comme une personne dangereuse, agressive envers elle-même ou les autres. Elle peut également être vue comme un génie étrange, avec des capacités exceptionnelles, concernant les TSA sans déficience intellectuelle (anciennement, le syndrome d’Asperger).
Les premiers personnages avec TSA : l’enfant sauvage et mutique à éduquer
Dans les années 70, l’autisme est encore perçu comme un trouble rare et synonyme d’idiotie ou de psychose. C’est ainsi que les premiers films où un personnage apparaît avec un TSA se concentrent davantage sur les personnes autour de lui, celles qui s’en occupent, l’éduquent pour le ramener dans le langage et la société.
En effet, que ce soit dans le film L’enfant sauvage, de Truffaut (1969), ou dans le documentaire Ce gamin-là, de Victor (1975), la narration se concentre autour des adultes qui prennent en charge les enfants “à problème”. D’autres documentaires suivent, toujours centrés sur la problématique éducationnelle des enfants “sauvages”. Ce sont des enfants mutiques, dits psychotiques ou déficients mentaux.
Par ailleurs, les différents médias présentent des centres ou des méthodes pour “réadapter” ces enfants. Par exemple en 1974, une série d’émissions met fortement en avant les conceptions de Bruno Bettelheim. Il comparait alors le retrait autistique et la position “soumise” des enfants aux comportements des personnes déportées dans les camps de concentration. De même, il prônait la séparation de l’environnement parental hostile pour améliorer la condition de l’enfant.
Cependant, en parallèle de ces émissions, Alfred et Françoise Brauner proposent des documentaires sur leur méthode d’accompagnement plus détendue. De sorte que l’accent est moins mis sur les méthodes éducatives traditionnelles. De surcroît, ils essaient tous deux d’innover pour insérer les enfants, en adaptant leur façon d’échanger. Mais leurs travaux sont moins connus du grand public et passent inaperçus plus longtemps.
Le syndrome d’Asperger : élargissement des points de vue et témoignages
Dans les années 80, la psychiatre Lorna Wing publie une étude concernant des “enfants autistes de haut niveau” et utilise le terme de Syndrome d’Asperger. En parallèle, des témoignages de personnes avec un TSA sans déficience intellectuelle ont émergé et ont contribué à une meilleure visibilité médiatique des TSA.
De plus, le récit de Temple Grandin en 1986, puis un documentaire sur sa vie, ont eu un impact important sur les représentations des TSA. Les médias se sont également saisi du Syndrome d’Asperger pour le représenter dans différents films.
En outre, un des premiers films le plus connu du grand public est Rain Man, en 1988. Il a mis en avant le Syndrome d’Asperger avec le personnage de Raymond, bien que certains expliquent aujourd’hui qu’il s’agirait du syndrome du savant. Ce film a popularisé l’idée du génie étrange, aux capacités extraordinaires de calcul et de mémorisation. Le personnage de Raymond a également des comportements ritualisés, qui s’ils ne sont pas respectés peuvent provoquer une augmentation extrême de son angoisse. Il a aussi des difficultés au quotidien dans son autonomie, comme pour boutonner ses vêtements, et nécessite d’être accompagné, épaulé pour vivre.
Depuis, d’autres films et notamment des séries télévisées, dans les années 2000, ont construit leur personnage principal avec des caractéristiques similaires aux TSA sans déficience intellectuelle. Ils ont renforcé les stéréotypes du personnage surdoué, imbattable dans son domaine, avec des compétences cognitives largement au-dessus de la moyenne. Ces personnages sont cependant en difficultés dans le domaine social. Les incompréhensions et le non-respect des codes sociaux sont souvent mis en avant, pour leur effet comique ou dramatique.
Même si les termes “autisme” ou “syndrome d’Asperger” ne sont parfois jamais cités, certains personnages sont reconnus comme illustrant ces spécificités. Nous pouvons citer Adrien Monk (Monk), inspecteur exceptionnel en congé dû à ses troubles obsessionnels compulsifs et ses difficultés sociales. Ce personnage a été construit en s’appuyant sur les caractéristiques de Sherlock Holmes, lui aussi reconnu dans la communauté Aspie-friendly, comme présentant les spécificités du syndrome d’Asperger. Nous pouvons les retrouver notamment dans la série Sherlock. Dans Esprits Criminels, le Dr Spencer Reid présente également les mêmes caractéristiques, notamment une mémoire eidétique, et s’appuient sur ses collègues lors des différentes interactions sociales auxquelles il peut être confronté.
Que ce soit dans le cadre de séries, de films dramatiques ou comiques, le personnage représentant le TSA est toujours accompagné d’un personnage qui agit comme un traducteur lors des échanges sociaux. Dans The Big Bang Theory, Sheldon Cooper dépend beaucoup de Léonard, son colocataire, pour comprendre les codes sociaux et améliorer ses échanges, comme Sherlock dépend de Watson ou Monk de ses assistantes.
Le Syndrome d’Asperger au sein des TSA : une porte d’entrée aux changements des représentations
Dans les années 2000, les médias se sont donc surtout intéressés à la représentation du Syndrome d’Asperger ou des TSA avec un haut potentiel intellectuel ; l’accès quasi typique au langage permettant de mettre plus facilement en scène ces personnages. Ces médias ont cependant continué de véhiculer des stéréotypes et de renforcer certaines représentations sociales : la personne avec TSA ne vit que par sa compétence exceptionnelle, ses intérêts restreints et dépend d’une autre personne, figure parentale gérant les difficultés quotidiennes.
Différentes associations de personnes avec TSA ou de familles les accompagnant, ont salué les représentations tout en pointant les ressorts scénaristiques contribuant aux stéréotypes. L’image enfantine nécessitant l’appui de personnes neurotypiques pour évoluer dans la société a notamment été commentée.
L’inclusion des personnes avec TSA dans les discussions autour de ces représentations a permis une évolution positive dans les médias, depuis une dizaine d’années. Aujourd’hui, les documentaires et les séries mettent ouvertement en avant le diagnostic de TSA sans le cacher. Les personnages sont également plus fidèles aux caractéristiques réelles des personnes avec TSA et les scénarios ne s’articulent plus qu’autour des difficultés engendrées par les personnages TSA. On the Spectrum s’intéresse par exemple à la vie quotidienne de trois jeunes adultes avec TSA et de leurs aspirations dans leur vie quotidienne.
Dans le préquel de The Big Bang Theory, Young Sheldon, le personnage de Sheldon est plus qu’un ressort comique. Les personnages formant sa famille ont d’autres problématiques en dehors de son accompagnement. De même, dans la série Atypical, le personnage de Sam n’est pas un génie et aspire à une vie sociale. Ses comportements répétitifs et restreints ne sont pas mis en avant comme un ressort comique et n’apparaissent qu’en situation d’angoisse.
Les séries TV aident-elles à mieux comprendre l’autisme ?
La meilleure connaissance des TSA et l’inclusion des personnes concernées pour la construction des personnages permettent de nouvelles représentations dans les médias. La connotation négative accompagnant essentiellement le diagnostic de TSA se modifie ainsi dans l’inconscient collectif. Le concept de neurodiversité est exploré et permet une meilleure acceptation des différences de comportements chez les personnes avec TSA. Ces nouvelles représentations dans les films et séries télévisées permettent également une meilleure compréhension pour les neurotypiques et un sentiment de visibilité pour les personnes avec TSA.
Autrice : Laurie Pacini, psychologue clinicienne, doctorante, conférencière, ingénieure R&D chez Juggle
Ressources bibliographiques
- Brauner, A. et Brauner, F. (1982). « … vivre avec un enfant autistique ». PUF
- Chamak, B. 2013. « L’autisme à l’écran »
- Chamak, B. 2019. « Modifications des représentations sociales de l’autisme et introduction du concept « autism-friendly » »
- Jones, S. ; Harwood, V. 2009. « Representations of autism in Australian print media », Disability & Society, 24, p. 5-18
- Grandin, T. (1994). Ma vie d’autiste. Odile Jacob